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Son impuissance coloniale a éclaté partout. L’aventurier français n’a pas vécu ; il venait sans famille, et apportait ses vices, fondait dans la masse barbare, au lieu de la civiliser. L’Anglais, sauf deux pays tempérés où il a passé en masse et en famille, ne vit pas davantage au-delà des mers ; l’Inde ne saura pas dans un siècle qu’il y vécut. Le missionnaire protestant, catholique, a-t-il eu influence, a-t-il fait un chrétien ? « Pas un », me disait Burnouf, si informé. Il y a entre eux et nous trente siècles, trente religions. Si l’on veut forcer leur cerveau, il advient ce que M. de Humboldt observa dans les villages américains qu’on appelle encore les Missions ; ayant perdu la sève indigène sans rien prendre de nous, vivants de corps et morts d’esprit, stériles, inutiles à jamais, ils restent de grands enfants, hébétés, idiots.

Nos voyages de savants, qui font tant d’honneur aux modernes, le contact de l’Europe civilisée qui va partout, ont-ils profité aux sauvages ? Je ne le vois pas. Pendant que les races héroïques de l’Amérique du Nord périssent de faim et de misère, les races molles et douces de l’Océanie fondent, à la honte de nos navigateurs, qui, là, au bout du monde, jettent le masque de décence, ne se contraignent plus. Population aimable et faible, où Bougainville trouva l’excès de l’abandon, où les marchands