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devant un orgue immense, dont à peine il tire quelques notes. Sortant du moyen âge, après tant de théologie et de philosophie, il s’est trouvé barbare : de l’instrument sacré, il n’a su que casser les touches.

Les chercheurs d’or ont commencé, comme on a vu, ne voulant qu’or, rien de plus, brisant l’homme. Colomb, le meilleur de tous, dans son propre journal, montre cela avec une naïveté terrible qui, d’avance, fait frémir de ce que feront ses successeurs. Dès qu’il touche Haïti : « Où est l’or ? et qui a de l’or ? » ce sont ses premiers mots. Les naturels en souriaient, étaient étonnés de cette faim d’or. Ils lui promettaient d’en chercher. Ils s’ôtaient leurs propres anneaux pour satisfaire plus tôt ce pressant appétit.

Il nous fait un touchant portrait de cette race infortunée, de sa beauté, de sa bonté, de son attendrissante confiance. Avec tout cela, le Génois a sa mission d’avarice, ses dures habitudes d’esprit. Les guerres turques, les galères atroces et leurs forçats, les ventes d’hommes, c’était la vie commune. La vue de ce jeune monde désarmé, ces pauvres corps tout nus d’enfants, de femmes innocentes et charmantes, tout cela ne lui inspire qu’une pensée tristement mercantile, c’est qu’on pourrait les faire esclaves.