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de quatre-vingt-deux jours, à revenir au sud ; mais c’est pour y mourir. Ce jeune homme intrépide, qui approcha du pôle plus près qu’aucun mortel, mourant, emporta la couronne que les sociétés savantes de la France ont mise à son tombeau, le grand prix de géographie.

Dans ce récit, où il y a tant de choses terribles, il y en a une touchante. Elle donne la mesure des souffrances excessives d’un tel voyage : c’est la mort de ses chiens. Il en avait de Terre-Neuve, admirables ; il avait des chiens Esquimaux ; c’étaient ses compagnons plus qu’aucun homme. Dans ses longs hivernages, des nuits de tant de mois, ils veillaient autour du vaisseau. Sortant dans les ténèbres épaisses, il rencontrait le souffle tiède de ces bonnes bêtes, qui venaient réchauffer ses mains. Les Terre-Neuve d’abord furent malades : il l’attribue à la privation de lumière ; quand on leur montrait des lanternes, ils allaient mieux. Mais, peu à peu une mélancolie étrange les gagna, ils devinrent fous. Les chiens Esquimaux les suivirent : il n’y eut pas jusqu’à sa chienne Flora, la plus sage, la plus réfléchie, qui ne délirât comme les autres et qui ne succombât. C’est le seul point, je crois, dans son âpre récit où ce ferme cœur semble ému.