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montagnes, Ossa sur Pélion, la cité des Géants, qui, régularisée, vous donne des murs cyclopéens, des tables et dolmens druidiques. Dessous s’enfoncent des grottes sombres. Mais tout cela caduc ; tout, aux frissons du vent, ondule et croule. On n’y prend pas plaisir, parce que rien ne s’asseoit. À chaque instant, dans ce monde à l’envers, la loi de pesanteur n’est rien : le faible, le léger, portent le fort ; c’est, ce semble, un art insensé, un gigantesque jeu d’enfant, qui menace et peut écraser.

Il arrive parfois un incident terrible. À travers la grande flotte qui majestueusement, lentement, descend du nord, vient brusquement du sud un géant de base profonde, qui, enfonçant de six, de sept cents pieds sous la mer, est violemment poussé par les courants d’en bas. Il écarte ou renverse tout ; il aborde, il arrive à la plaine de glaces ; mais il n’est pas embarrassé. « La banquise fut brisée en une minute sur un espace de plusieurs milles. Elle craqua, tonna, comme cent pièces de canon ; ce fut comme un tremblement de terre. La montagne courut près de nous ; tout fut comble, entre elle et nous, de blocs brisés. Nous périssions ; mais elle fila, rapidement emportée au nord-est. » (Duncan, 1826.)