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plages, grèves et falaises

der contre lui une mauvaise volonté. L’hiver, infatigablement, elle flagellait sa vitre de neige ou de vents glacés. Elle ne le laissait pas dormir. Elle frappait sous lui son roc, sans trêve ni repos, dans les longues nuits. L’été, elle lui montrait d’incommensurables orages, des éclairs d’un monde à l’autre. Aux grandes marées, c’était bien pis. Elle monte à soixante pieds, et son écume furieuse, sautant bien plus haut encore, outrageusement venait lui frapper dans sa fenêtre. Il n’était pas même sûr que la mer s’en tînt toujours là. Elle pouvait dans sa haine, lui jouer quelque mauvais tour. Mais il n’avait pas le moyen de chercher un meilleur abri, et peut-être aussi était-il retenu, à son insu, par je ne sais quel magnétisme. Il n’eût pas osé se brouiller tout à fait avec la terrible fée. Il avait pour elle un certain respect. Il en parlait peu, et plus souvent la désignait sans la nommer, comme l’Islandais en mer n’ose nommer l’Ourque, de peur qu’elle n’entende et ne vienne. Je vois encore sa mine pâle lorsqu’il regardait la grève, et disait : « Cela me fait peur. »

Était-ce un fou ? Nullement, il parlait de fort bon sens. Il me parut distingué et intéressant. C’était un être nerveux, très finement organisé, trop pour de telles impressions.

La mer fait beaucoup de fous. Livingstone avait