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Qu’aurait-il fait ? Sa famille avait faim, et ses enfants criaient ; sa femme enceinte grelottait sur la neige. Le vent du pôle leur jetait infatigablement ce déluge de givre, ce tourbillon de fines flèches qui piquent et entrent, hébètent, font perdre la voix et le sens. La mer fermée, plus de poisson. Mais le phoque était là. Et que de poissons dans un phoque, quelle richesse d’huile accumulée ! Il était là endormi, sans défense. Même éveillé, il ne fuit guère. Il se laisse approcher, toucher. Comme le lamantin, il faut le battre, si on veut l’éloigner. Ceux qu’on prend jeunes, on a beau les rejeter à la mer, ils vous suivent obstinément. Une telle facilité dût troubler l’homme et le faire hésiter, combattre la tentation. Enfin, le froid vainquit, et il fit cet assassinat. Dès lors, il fut riche et vécut.

La chair nourrit ces affamés. L’huile, absorbée à flots, les réchauffa. Les os servirent à mille usages domestiques. Des fibres on fit des cordes et des filets. La peau du phoque, coupée à la taille de la femme, la couvrit frissonnante. Même habit pour les deux, sauf la pointe un peu basse qu’elle allonge. Plus un petit ruban de cuir rouge qu’elle met galamment en bordure pour lui plaire et pour être aimée. Mais ce qui fut bien plus utile, c’est qu’industrieusement, de peaux cousues, ils firent la machine légère, forte pourtant, où cet homme