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La vue est le sens de l’oiseau, l’odorat celui du poisson. Le faucon dans les nuages perce du regard l’espace profond, voit le gibier presque invisible. De même, des profondeurs de l’eau, à l’odeur d’une proie tentante, la raie est avertie, remonte. Dans ce monde demi-obscur, de lueurs douteuses et trompeuses, on se fie à l’odorat, parfois au toucher. Ceux qui, comme l’esturgeon, fouillent la vase, ont le tact exquis. Le requin, la raie, la morue (avec ses gros yeux écartés), voient mal, mais flairent et sentent. Chez la raie, l’odorat est si sensible, qu’elle a un voile tout exprès pour le fermer par moment, et en annuler la puissance, qui sans doute l’importunerait et la prendrait au cerveau.

À ce puissant moyen de chasse, ajoutez des dents admirables, acérées, parfois en scie, multipliées chez quelques-uns en plusieurs rangées, au point de paver la bouche, le palais et le gosier. La langue même en est armée. Ces dents, fines, partant fragiles, en ont d’autres, derrière, toutes prêtes, si elles cassent, pour les remplacer.

Nous l’avons dit dès l’ouverture de ce second livre, il a fallu que la mer produisît ces êtres terribles, ces tout puissants destructeurs, pour combattre, guérir elle-même l’étrange mal qui la travaille, l’excès de fécondité. La Mort, chirurgien secourable, par une saignée persévérante, d’abon-