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qui lui permet de se faire plus ou moins pesant, le fait naviguer à son aise suspendu entre deux eaux. Il va, paisible, bercé, caressé du flot, dort, s’il veut, en route. Il est tout à la fois embrassé et isolé par la substance onctueuse qui rend sa peau, ses écailles glissantes et imperméables. Son milieu est peu variable, toujours à peu près le même, pas trop froid et pas trop chaud. Quelle terrible différence entre une vie si commode et celle qui nous est départie, à nous habitants de la terre ! Chaque pas que nous faisons nous fait rencontrer des aspérités, des obstacles. La rude terre nous met des pierres au passage, nous fatigue, nous épuise, à monter, descendre, remonter ses pentes. L’air varie selon les saisons, et souvent très cruellement. L’eau, la froide pluie, pendant des nuits et des jours, tombe impitoyablement, nous pénètre, nous morfond, parfois gèle à nos cheveux, et nous entoure frissonnants des pointes aiguës de ses cristaux.

La félicité du poisson, sa bienheureuse plénitude de vie, s’expriment sous les tropiques par le luxe de ses couleurs, et se traduit dans le Nord par la vigueur du mouvement. Dans l’Océanie et la mer des Indes, ils jouent, errent et vagabondent, sous les formes les plus bizarres, les plus fantastiques parures ; ils prennent leurs ébats joyeux entre les coraux, sur les fleurs vivantes. Nos poissons des