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font, en un moment, rentraient chacun sous sa guérite. Ce ne sont pas des Achille, mais plutôt des Annibal. Dès qu’ils se sentent forts, ils attaquent. Ils mangent les vivants et les morts. L’homme blessé a tout à craindre. On conte qu’en une île déserte ils mangèrent plusieurs des marins de Drake, assaillis, accablés de leurs grouillantes légions.

Nul être vivant ne peut les combattre à armes égales. Le poulpe géant qui étouffe le plus petit crustacé y risque ses tentacules. Le poisson le plus glouton hésite pour avaler un être si épineux.

Dès que le crustacé grossit, il est le tyran, l’effroi des deux éléments. Son inattaquable armure est en état d’attaquer tout. Il multiplierait à l’excès, romprait la balance des êtres, s’il n’avait dans cette armure son entrave et son danger. Fixe et dure, ne prêtant pas aux variations de la vie, elle est pour lui une prison.

Pour s’ouvrir, à travers ce mur, la voie de la respiration, il a dû en placer la porte dans un membre casuel qu’il perd fréquemment, la patte. Pour faire place à la croissance, à l’extension progressive de ses organes intérieurs, il faut, chose si dangereuse ! que la cuirasse, amollie par moments et flasque, ne soit qu’une peau. Elle n’admet un tel