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et, par ces procédés lents et sûrs, en venir à bout.

Dans cette vie uniforme, il y a des crises pourtant comme dans celle de l’ouvrier. La mer fuit de certains rivages. L’été, telle roche devient d’une insupportable chaleur. Il faut avoir deux maisons, une d’été, une d’hiver.

Grand événement qu’un déménagement pareil pour un être sans pieds, qui, de tous côtés, a des pointes. M. Caillaud l’a observé, admiré dans ces moments. Les baguettes faibles et mobiles, qui jouent, avancent et reculent, ne sont nullement insensibles, quoiqu’il les garantisse un peu en sécrétant tout autour un peu de molle gélatine qui sans doute fait matelas. Enfin, il le faut, il se lance, il s’affermit sur ses pointes, comme sur autant de béquilles, roule son tonneau de Diogène, et, comme il peut, atteint le port.

Là, renfermé de nouveau et dans sa coque hérissée, et dans le petit nid qu’il trouve presque toujours commencé, il se renfonce en lui-même, en sa jouissance solitaire de sécurité bienheureuse. Que mille ennemis rôdent au dehors, que la vague tonne et mugisse ; tout cela, c’est pour son plaisir. Que le roc tremble aux coups de mer : il sait bien qu’il n’a rien à craindre, que c’est sa bonne nourrice qui fait ce bruit. Il est bercé, il sommeille et lui dit : « Bonsoir. »