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Ils souffrent, ils craignent, ils veulent vivre. Il faut se garder de croire que les êtres peu avancés, embryonnaires, soient peu sensibles. Le contraire est certain. En tout embryon, ce qui est ébauché d’abord, c’est le système nerveux, c’est-à-dire la capacité de sentir et de souffrir. La douleur est l’aiguillon par lequel la prévoyance est peu à peu stimulée, et l’être pressé, forcé de s’ingénier. Le plaisir y sert aussi, et vous le voyez déjà dans ceux qu’on croirait les plus froids. On a justement noté chez le limaçon le bonheur qu’il a, après des recherches pénibles d’amour, de rencontrer l’objet aimé. Tous deux, d’une grâce émue, ondulant de leurs cous de cygne, s’adressent de vives caresses. Qui dit cela ? le sévère, le très exact Blainville. (Moll., p. 181.)

Mais, hélas ! combien la douleur est largement prodiguée ! Qui n’a vu avec tristesse les lents et pénibles efforts du mollusque sans coquille, qui traîne sur le ventre ? Choquante mais trop fidèle image du fœtus qu’un hasard cruel aurait arraché de la mère, jeté sur le sol sans défense et nu. La triste bête épaissit sa peau autant qu’elle peut, adoucit les aspérités et rend sa route glissante. N’importe. Elle doit subir un à un tous les obstacles, les chocs, les pointes de caillou. Elle est endurcie, résignée, je le veux bien. Et pourtant, à tel contact, elle se tord,