Page:Michelet - La Mer, 1875.djvu/18

Cette page a été validée par deux contributeurs.
6
la mer vue du rivage

tre avant l’équateur, leur impose. Ils s’arrêtent. Ils disent : « C’est la mer des Ténèbres. » Et ils retournent chez eux.

« Il y aurait de l’impiété à violer ce sanctuaire. Malheur à celui qui suivrait sa curiosité sacrilège ! On a vu, aux dernières îles, un colosse, une menaçante figure qui disait : « N’allez pas plus loin. »


Ces terreurs, un peu enfantines, du vieux monde ne diffèrent en rien de ce qu’on peut voir toujours des émotions du novice, de la simple personne qui, venue de l’intérieur, tout à coup aperçoit la mer. On peut dire que tout être qui en a la surprise, ressent cette impression. Les animaux, visiblement, se troublent. Même au reflux, lorsque, lasse et débonnaire, l’eau traîne mollement au rivage, le cheval n’est pas rassuré ; il frémit et souvent refuse de passer le flot languissant. Le chien recule et aboie, injurie à sa manière la lame dont il a peur. Jamais il ne fait la paix avec l’élément douteux qui lui semble plutôt hostile. Un voyageur nous raconte que les chiens du Kamtchatka, habitués à ce spectacle, n’en sont pas moins effrayés, irrités. En grandes bandes, par milliers, dans les