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dans un nuage, une couronne de tendre lilas. Le vent l’avait retournée. Sa couronne de cheveux lilas flottait en dessus, et la délicate ombrelle (c’est-à-dire son propre corps), se trouvant dessous, touchait le rocher. Très froissée en ce pauvre corps, elle était blessée, déchirée en ses fins cheveux qui sont ses organes pour respirer, absorber et même aimer. Tout cela, sans dessus dessous, recevait d’aplomb le soleil provençal, âpre à son premier réveil, plus âpre par l’aridité du mistral qui s’y mêlait par moments. Double trait qui traversait la transparente créature. Vivant dans ce milieu de mer dont le contact est caressant, elle ne se cuirasse pas d’épiderme résistant, comme nous autres animaux de la terre ; elle reçoit tout à vif.

Près de sa lagune séchée, d’autres lagunes étaient pleines et communiquaient à la mer. Le salut était à un pas. Mais, pour elle qui ne se meut que par ses ondoyants cheveux, ce pas était infranchissable. Sous ce soleil, on pouvait croire qu’elle serait bientôt dissoute, absorbée, évanouie.

Rien de plus éphémère, de plus fugitif que ces filles de la mer. Il en est de plus fluides, comme la légère bande d’azur qu’on appelle ceinture de Vénus, et qui, à peine sortie de l’eau, se dissipe et disparaît. La méduse, un peu plus fixée, a plus de peine à mourir.