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et âpre ; il rentre, d’un appétit immense, dans le banquet de la mer. Grande douceur pour l’affamé de trouver la grasse morue qui a assimilé en elle les légions du hareng. Bonheur infini pour lui de trouver là concentrée la substance, de mordre en chair pleine. Ce vaillant mangeur de morue, quoique moins fécond, l’est encore ; il a quinze cent mille œufs. Un esturgeon de quatorze cents livres a cent livres de laite, ou quatre cent cinquante livres d’œufs. Le danger se représente. Le hareng a menacé de sa fécondité terrible ; la morue a menacé ; l’esturgeon menace encore.

Il faut que la nature invente un suprême dévorateur, mangeur admirable et producteur pauvre, de digestion immense et de génération avare. Monstre secourable et terrible qui coupe ce flot invincible de fécondité renaissante par un grand effort d’absorption, qui avale toute espèce indifféremment, les morts, les vivants, que dis-je ? tout ce qu’il rencontre. Le beau mangeur de la nature, mangeur patenté : le requin.

Mais ces destructeurs terribles sont vaincus d’avance. Quelle que soit leur furie de manger, ils produisent peu. L’esturgeon, comme on a vu, est moins fécond que la morue, et le requin est stérile, si on le compare à tout autre poisson. Il ne se verse pas comme eux en torrents par toute la mer.