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ensevelis aux ténébreuses profondeurs ; ensemble ils viennent au printemps prendre leur petite part du bonheur universel, voir le jour, jouir et mourir. Serrés, pressés, ils ne sont jamais assez près l’un de l’autre ; ils naviguent en bancs compactes. « C’est (disaient les Flamands) comme si nos dunes se mettaient à voguer. » Entre l’Écosse, la Hollande et la Norvège, il semble qu’une île immense se soit soulevée, et qu’un continent soit prêt d’émerger. Un bras s’en détache à l’est et s’engage dans le Sund, emplit l’entrée de la Baltique. À certains passages étroits, on ne peut ramer ; la mer est solide. Millions de millions, milliards de milliards, qui osera hasarder de deviner le nombre de ces légions ? On conte que jadis, près du Havre, un seul pêcheur en trouva un matin dans ses filets huit cent mille. Dans un port d’Écosse, on en fit onze mille barils dans une nuit.

Ils vont comme un élément aveugle et fatal, et nulle destruction ne les décourage. Hommes, poissons, tout fond sur eux ; ils vont, ils voguent toujours. Il ne faut pas s’en étonner : c’est qu’en naviguant ils aiment. Plus on en tue, plus ils produisent et multiplient chemin faisant. Les colonnes épaisses, profondes, dans l’électricité commune, flottent livrées uniquement à la grande œuvre du bonheur. Le tout va à l’impulsion du flot et du flot électrique.