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hauteurs immenses. L’architecture du moyen âge, dont on parle tant, ne se hasardait à bâtir si haut qu’en donnant à l’édifice des soutiens extérieurs, contreforts, arcs-boutants, et, vers la pointe des tours, elle ne se fiait plus à la pierre, mais appelait le secours peu artiste des crampons de fer qui reliaient les pierres entre elles. C’est ce qu’on peut voir aisément à la flèche de Strasbourg. Nos constructeurs méprisent ces moyens. Le phare des Héaux, récemment bâti par M. Reynaud sur le dangereux écueil des Épées de Tréguier, a la simplicité sublime d’une gigantesque plante de mer. Il n’a que faire des contreforts. Il enfonce dans la roche vive ses fondements taillés au ciseau. Sur une base de soixante pieds en largeur, il dresse sa colonne de vingt-quatre pieds de diamètre. Ses larges pierres de granit sont encastrées l’une dans l’autre. De plus, pour les parties basses, les assises sont reliées par des dés (aussi de granit) qui pénètrent à la fois dans des pierres superposées. Le tout est taillé si juste, que le ciment est superflu. Du bas au haut, toute pierre mordant ainsi dans sa voisine, le phare n’est qu’un bloc unique, plus un que son rocher même. La lame ne sait où se prendre. Elle bat, elle rage, elle glisse. Dans ses grands coups de tonnerre, tout ce qu’elle gagne, c’est que le phare branle et s’incline quelque peu.