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Ce fut lui pourtant, je crois, qui dans la tempête d’octobre sauva nos trente hommes. Le vaisseau fut brisé, mais ils échappèrent.

C’est beaucoup de voir son naufrage, d’échouer en pleine lumière, en connaissance du lieu, des circonstances et des ressources qui restent. « Grand Dieu, s’il faut périr, fais-nous périr au jour ! »

Quand le vaisseau, emporté de la haute mer par cette houle furieuse, arriva la nuit près des côtes, il avait mille chances pour une de ne pas entrer en Gironde. À sa droite, la pointe lumineuse de Grave lui dit d’éviter le Médoc ; à sa gauche, le petit phare de Saint-Palais lui fit voir le dangereux roc de la Grand’Caute du côté de la Saintonge. Entre ces feux blancs et fixes éclatait sur l’écueil central le rouge éclair de Cordouan, qui, de minute en minute, montre le passage.

Par un effort désespéré, il passa, mais ce fut tout. Le vent, la lame, le courant, l’accablèrent à Saint-Palais. La trinité secourable des trois feux s’y réverbérait ; les trente virent où ils étaient, qu’ils allaient tomber sur le sable, et qu’ils avaient chance de vie s’ils quittaient à temps le vaisseau. Ils se tinrent prêts à s’élancer, se fièrent à l’ouragan, à la fureur même du vent. Il les traita en effet précisément comme ces lames qu’il emporte dans les terres sans leur permettre le retour.