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HISTOIRE DE FRANCE.

le Crotoniate. Il parlait avec peine, et pourtant sa parole était puissante[1]. Obligé par l’invasion des barbares de se réfugier dans l’Orient, il y enseigna ses doctrines et fut attaqué par ses anciens amis, saint Jérôme et saint Augustin. Dans la réalité, Pélage, en niant le péché originel[2], rendait la rédemption inutile et supprimait le christianisme[3]. Saint Augustin, qui avait passé sa vie jusque-là à soutenir la liberté contre le fatalisme manichéen, en employa le reste à combattre la liberté, à la briser sous la grâce divine, au risque de l’anéantir. Le docteur africain fonda, dans ses écrits contre Pélage, ce fatalisme mystique, qui devait se reproduire tant de fois au moyen âge, surtout dans l’Allemagne, où il fut proclamé par Gotteschalk, Tauler, et tant d’autres, jusqu’à ce qu’il vainquît par Luther.

Ce n’était pas sans raison que le grand évêque d’Hippone, le chef de l’Église chrétienne, luttait si violemment contre Pélage. Réduire le christianisme à

  1. Saint Augustin.
  2. Il ne peut y avoir de péché héréditaire, disait Pélage, car c’est la volonté seule qui constitue le péché.

    « Quærendum est, peccadum voluntatis an necessitatis est ? Si necessitatis est peccatum, non est ; si voluntatis, vitari potest. » Donc, ajoutait-t-il, l’homme peut être sans péché ; c’est le mot de Théodore de Mopsueste : « Quærendum utrum debeat homo sine peccato esse ? Procul dubio debet. Si debet, potest. Si præceptum est, potest. » Origène aussi ne demandait pour la perfection que « la liberté aidée de la loi et de la doctrine. »

  3. Origène, qui avait nié le péché originel, avait pensé que l’incarnation était une pure allégorie. Du moins on le lui reprochait. Saint Augustin sentit bien la nécessité de cette conséquence. V. la traité : De Naturâ et Gratiâ.