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COMME JADIS…

faire place à une Jacqueline que mon amour créait de toutes pièces. Je rêvais, je divaguais sur ce thème inépuisable. Jacqueline, elle, me morigénait parfois, m’accusait de ne pas produire, de ne pas profiter de l’exaltation de l’heure pour préciser, affermir devant la critique les préceptes de l’école nouvelle dont elle me sacrait le Maître. Combien peu je songeais à vaticiner ! Jalousement, je renfermais en moi les sentiments nouveaux dont mon âme chaque jour s’élargissait. Ma fiancée seule connaissait leur puissance, leur douceur d’expression… Je ne doutais pas de son amour. Ses lettres étaient l’évangile où je puisais mes espoirs, mes réconforts et l’indéfinissable orgueil du don intellectuel qui magnifiait son amour.

Les mois qui nous séparaient du revoir furent un enchantement et passèrent assez vite. Bien avant les Maurane, j’arrivai à Noulaine pour faire subir au vieux château quelques transformations que je savais du goût de ma fiancée.

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Minnie, laissez-moi abréger… Aussi bien j’ai perdu le souvenir des jours qui précédèrent la scène… Mademoiselle Maurane habitait la Grangère et servait de chaperon à sa nièce, ce qui me permettait de les recevoir au château. À vrai dire, Jacqueline se souciait peu de ces détails de convenance et plus d’une fois je la vis entrer, dans cette bibliothèque, seule, tête nue, comme elle aimait à