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COMME JADIS…

feu. J’eus l’intuition que ma réponse ne devait pas se faire attendre. Loyalement je lui devais l’aveu que mon idéal différait du sien, de celui qu’elle me prêtait. Certes, j’étais artiste. Mais plus haut que l’art pur, je plaçais la beauté des idées, des grandes idées fondamentales de la vie de l’homme. Je me sentais invinciblement attiré par la terre. Jacqueline parlait de « l’Aube claire », ma première toile. Pourtant n’avais-je pas produit depuis des œuvres totalement différentes et nettement paysannes ? Hélas ! plus encore que des théories d’école, la poésie latente de notre jeunesse palpitait entre nous. Un rai de soleil, fusant au sommet des branches, enveloppait Jacqueline, exaltait le parfum de la touffe de jasmin. Je songeai à m’enorgueillir du don de cette jeune et forte intelligence ; j’étais ébloui, sans pensée définie… Avant que je puisse parler, dans la hâte de sceller d’un geste le pacte, j’étendis la main et je pressai entre mes doigts une main petite, ferme et chaude…

Les vacances des Maurane se trouvèrent brusquement abrégées par la maladie grave d’une tante de Jacqueline, sœur de son père, directrice de l’École normale de Tunis. Jacqueline passa une année là-bas pour soigner Mlle Maurane. Elle était absorbée par ses soins d’infirmière ; j’étais pris entièrement par ma peinture, qui jamais ne m’avait aussi jalousement accaparé ; notre correspondance fut brève. Il m’arrivait de sourire en pensant à