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COMME JADIS…

de bonheur, avec ses fleurs épanouies, avec son soleil intense. Chaque matin, les roses éclataient comme des ballons gonflés de pétales rouges, blancs, roses, souffrés. L’air était mol et énervant. Mon attente imprécise devenait angoissante. Je ne songeais pas à Jacqueline. Jacqueline survint et ce fut la vision fixée…

À la première rencontre, son regard d’ombre, roux, fauve, se posa sur moi, énigmatique, sphyngien. J’en reçus un choc magnétique que je ne songeais pas à définir : j’étais sous l’empire de sa jeune beauté de déesse. L’âge avait atténué la couleur ardente de ses cheveux et nuancé, des tons chauds de l’acajou, la torsade d’un art simple retenue bas sur la nuque par des épingles d’or qui multipliaient les jeux de lumière. Elle remarqua mon regard attardé.

— Me trouvez-vous toujours une drôle de petite bonne femme avec mes cheveux roux ? dit-elle en riant de l’allusion à l’une de mes taquineries passées.

Je balbutiai un compliment. Mais elle m’entraînait par la grande porte-fenêtre qui s’ouvrait sur le jardin de la Grangère.

— Venez. Laissons ces Messieurs à la recherche de leurs communes relations. Le rappel de nos souvenirs de gosses les embrouillerait.

C’était un de ces après-midi où le ciel brasillant laisse tomber une nappe de feu. Au fond de la