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COMME JADIS…

avait plu à Mlle Schmidt, son professeur de littérature, qui l’avait aussitôt communiqué à l’un de ses amis, collaborateur d’une petite revue d’art, « Le Reflet », et voilà… « grâce à vous, ajoutait-elle, j’ai connu la joie supra-terrestre de me lire dans l’imprimé comme disent les bonnes gens d’Ormoy ! »

Un sentiment bizarre m’empêcha de retirer toute la jouissance que j’aurais dû de ce hasard extraordinaire : ma première œuvre saluée par le première article de Jacqueline. Sans me l’avouer il me déplaisait qu’elle eût commenté cette peinture avec des expressions ardentes, toutes cérébrales certes, mais qui me choquaient maintenant que je les savais éclos sous le front crémeux, voilé de frisons roux. J’en arrivai facilement à accuser l’éducation libre du lycée d’avoir exalté, cette jeune âme de dix-sept ans, déjà naturellement éprise de beauté païenne, et je me pris à rêver de combattre une influence pernicieuse, de tendre vers un idéal chrétien ces élans de ferveur frémissante, inquiétante comme une gerbe de fleurs trop belles, trop pourprées, trop sanglantes. Pour cette enfant que je n’avais pas revue depuis cinq ans, je ressentais tout à coup une responsabilité de grand frère.

Cependant, je n’eus même pas le loisir de répondre à la lettre de Jacqueline. Ma belle-mère mourut presque subitement. Mon père fut pendant des semaines entre la vie et la mort. Quand il re-