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COMME JADIS…

née s’illumine de la vision d’une petite sœur lointaine arrivée ce matin avec le premier et pâle rayon de soleil ? Mon vieux logis et moi, nous nous en égayons comme si de radieuses clartés d’avril, en ce mois de décembre, passaient par les joints mal clos des fenêtres et des portes. Ces chères clartés, voltigeant autour de moi, je ne voudrais pas les mettre en fuite, mon amie, en profilant sur elle les ombres du passé, entassées aux recoins de l’immense bibliothèque… Je n’ose bouger… Ma plume grignote, menu, le silence. Mon fox-terrier dort en boule à mes pieds, parfois un soupir gonfle son petit corps nerveux, jamais au repos même pendant son sommeil. Au long des murs, mes livres s’alignent sur les épaisses planches de chêne, entre les casiers sculptés, travaillés par le temps, par les vers et par quelque artiste ignoré. Leurs dos ronds et parallèles sont semblables à des tuyaux d’orgues fantastiques. Si j’écoutais, aujourd’hui, j’entendrais, dans le silence, les plus harmonieux arpèges… J’ai conscience qu’une impression d’intimité, dont s’imprègne l’atmosphère de la bibliothèque sévère, austère, avec ses tons noircis de vieux chêne, s’échappe de vos feuillets disposés au coin de la table. On dirait une main que le soleil, le travail au grand air, auraient un peu brunie : la main, mon amie, que vous m’avez tendue…


Laisser flotter plus longtemps entre mes lignes, sans le préciser, le fantôme de la crise morale qui