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COMME JADIS…

rentrer à brassées ; les bûches tombent, sonores, dans les profondeurs de la caisse entre le poêle et le mur.

— Se chauffer, on a que ça à faire dans ce pays de loup !

Comme beaucoup de ses compatriotes, Mourier jouit sans vergogne des avantages du pays ; vous ne parviendrez pas à lui faire accepter un seul de ses inconvénients. Les maringouins, en été, le froid en hiver sont le thème de récriminations inépuisables. J’ai depuis longtemps abandonné la partie. En vérité, le pays est rude avec son climat extrême, ses courts étés et ses hivers si longs, l’isolement qu’imposent les distances et la rigueur des saisons. Et puis ce paysan français, habitué pourtant à l’existence sans douceur de la campagne, ne parvient pas à se déprendre d’une nostalgie qui brouille sa vision de là-bas et d’ici, et le tient dans un perpétuel état de comparaison. Ses enfants, si la mort ne les eût pris de façon tragique la première année de son installation au Canada, fussent devenus des Canadiens ; il ne sera jamais, lui, qu’un Français déraciné.


Lorsque vous recevrez cette lettre, l’année 1913 sera près de sa fin. Quels vœux vous enverrai-je ? Je vous souhaite de toute ferveur le retour à la santé. Je demanderai aussi à Dieu de bénir notre amitié nouvelle.

Minnie Lavernes.