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COMME JADIS…

J’aime ces matins de jeune neige. Son odeur fraîche s’infiltre par les moindres interstices des « logs », renouvelle l’atmosphère, apporte un regain de vie.

Je suis descendue, joyeuse, à la cuisine. Lorsque je suis entrée, le poêle ronflait, l’eau du canard ronflait, mon brave Mourier ronflait, confortablement installé dans une de ces berceuses qu’il fait gémir sous son poids ; ma chatte rousse, assise en sphinx, ronronnait, Henriette procédait, avec des gestes prudents, à la préparation du café. Le bruit de la porte se refermant, a éveillé Mourier. À cause du changement de lumière, ses petits yeux gris ont clignoté sous les sourcils broussailleux. Il a frotté ses mains sèches.

— Une belle bordée de neige, demoiselle. Ça tombe depuis trois heures du matin.

— Quel dommage que nous n’ayons pas attendu les chemins de sleighs pour charrier le foin !…

Il a humé le parfum du café cher à son cœur de vieux Français.

— M’est avis, a-t-il grommelé, que « faire le train » c’est déjà bien assez de besogne en hiver, dans un pays où le pauvre monde a de la misère à vivre dehors seulement pendant une heure.

« Faire le train », c’est panser les bêtes, les soigner, tirer l’eau du puits pour les besoins de la maison, dégeler l’abreuvoir à grand renfort d’eau bouillante après que l’on a entrepris de briser la glace à coups de hache, scier le bois, le fendre, le