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COMME JADIS…

et il faut reconstruire ces meulons transportés près des étables, pour parer aux éventualités d’un hiver dont la rigueur nous obligerait à garder les bêtes à l’abri.

Depuis une semaine, donc, nous partons, Mourier et moi, secoués rudement dans le char sans ressorts qu’on nomme « waggon » quand le train supporte une caisse longue et étroite pour le transport du grain et rack lorsqu’il soutient une immense cage de bois où l’on entasse foin ou gerbes. C’est un fracas de choses brisées, si la roue, après avoir grimpé sur une souche du trail, retombe dans une ornière. Il ne faut pas parler, par crainte de se mordre la langue. Ce doit être très drôle de nous voir debout, tous deux, graves, accrochés d’une main à l’un des barreaux de la cage ; nous descendons vers la prairie, par les chemins étroits longés de saules qui peigneront notre chargement au retour. Notre rack se remplit gaîment. Les grosses fourchées de Mourier me renversent parfois. J’égalise, je pile le foin élastique, luisant comme des cheveux de femme. Quand je suis étourdie, submergée, j’élève les dents de ma fourche au-dessus de ma tête, alors, Mourier arrête net son effort. Je vois sa fourche, chargée à ployer, interrompre sa course, déposer son fardeau ; Mourier saute de la meule sur le rack, d’un élan que ne laisserait pas deviner ses cheveux gris.

Combien de voyages avons-nous déjà faits ? Je