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COMME JADIS…

dire simplement, sans cette emphase qui détruit la réelle beauté d’un sentiment, quelle douceur m’est venue de votre confiance en moi, en souvenir de la confiance de votre père. Bien que nos relations aient commencé sous de défavorables auspices, nous serons amis de cette amitié qui aurait pu nous unir si nous nous fussions connus il y a six ans, il y a quatre ans, alors que vous suiviez de loin le travail du peintre beauceron. Je sens en vous une telle puissance de certitude ! D’instinct, ma faiblesse veut s’y attacher. Ne me repoussez pas. Il me semble que je ne suis pas trop indigne de votre amitié. C’est une aumône, ma cousine, que je quête. Comme vous le souhaitez, je pourrai ressentir, aux heures de découragement, le calme qu’étendait sur vous l’épinettière. Ce seul espoir m’arrache déjà à la hantise du souvenir accablant et destructeur des velléités de reconquête de soi-même.

J’ai pris mes dispositions pour passer l’hiver à Noulaine. Paris me fait horreur. Avec la collaboration des deux menuisiers du village, j’espère me défendre des vents coulis que portes et fenêtres laissent passer en grands seigneurs, généreusement. Je n’ai nul projet de travail. Je rêve d’ensevelissement pour une durée de trois ou quatre mois, suivant la longueur de notre hiver beauceron. Je ne peindrai pas, je ne lirai que très peu, je n’écrirai pas du tout — sinon à vous, ma cousine, si les épîtres ennuyeuses d’un vieil homme