Page:Michelet - Comme jadis, 1925.djvu/47

Cette page a été validée par deux contributeurs.
47
COMME JADIS…

la frontière sombre du bois et par delà on pouvait imaginer les espaces inconnus s’étalant jusqu’aux confins du monde ; à l’Est et au Sud, c’était la discipline imposée aux arbres qui gardaient, çà et là, abritées, fraîches, les prairies naturelles où l’on coupait en juin le long foin bleu.

Mon père, lui aussi, je le retrouvai changé, changé, hélas ! Le travail, les luttes de toutes sortes qu’il avait dû livrer, l’avaient usé, vieilli. J’exigeai qu’il prît une part moins lourde dans l’exploitation de la ferme. Notre vieille Nanine était morte quelques mois avant mon retour. Nous engageâmes un ménage français, les Mourier, de braves gens que la malchance semblait poursuivre et qui m’ont bien rendu en dévouement le peu que nous fîmes pour eux.

Je voulus rendre à mon cher père la vie plus douce, plus confortable. Je sentais s’éveiller en moi des tendresses ingénieuses. Avec le concours de Mourier, je passai ce premier hiver, à arranger notre « chez-nous ». Ainsi qu’il convient, nous prenions nos repas avec notre « ménage engagé » dans la vaste cuisine bâtie en appentis. Mais nous avions fait nôtre la grande salle qui, avec la chambre des Mourier, occupait le rez-de-chaussée. Quelles bonnes heures nous avons passées dans ce décor rustique, imprévu, dont j’imaginai d’enthousiasme tous les détails !… Père souriait à mes plans d’ameublement, me laissait tout arranger à ma guise, les