Page:Michelet - Comme jadis, 1925.djvu/45

Cette page a été validée par deux contributeurs.
45
COMME JADIS…

mémoire il y avait un ressouvenir de choses déjà vues. Pour moi, ce fut bien un voile qui, en se déchirant, me laissa tout entrevoir, depuis l’antiquité jusqu’aux âges proches, ignorés également.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Je me suis arrêtée d’écrire, hier, la main lasse. Ce soir, les dernières lignes au bas du feuillet précédent me paraissent une fin de chapitre. Et c’est bien en effet la fin d’un chapitre de ma vie que je vous contais. J’eus quinze ans. Sur les conseils du Père Chassaing, mon père décida de me conduire à Montréal pour terminer mes études au couvent que dirigeait une de nos parentes. J’y demeurai trois années. Trois années de nostalgie que l’étude, seule, parvint à rendre supportables.

Chaque semaine, je recevais une lettre de l’Ouest. Mon père me tenait au courant des développements de la colonie. Ainsi ma vie continuait d’être faite des efforts sans cesse renouvelés, nécessaires à la construction d’un pays. Si l’histoire du passé me passionnait, elle ne me dérobait pas la beauté de l’histoire présente que continuait d’écrire la volonté opiniâtre des défricheurs. Comparant mon père à celui de mes compagnes portant un nom connu dans la magistrature, la finance ou les affaires, j’étais fière d’être la fille du pionnier Jean Lavernes qui, suivant les traditions de la race, implantait le nom français sur une parcelle de territoire disputé par les voisins les plus étran-