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COMME JADIS…

étaient nécessaires à l’œuvre de défrichement. Il ne fallait pas songer à former un district scolaire avant deux ans. Mon père déplorait mon ignorance et cependant ne pouvait se décider à se séparer de moi pour me mettre au couvent. Aussi accepta-t-il avec reconnaissance l’offre du Père Chassaing de me donner quelques heures de leçons par semaine. La sévérité de mon maître me parut bien dure les premiers mois. Avec lui, je n’allais plus à l’aventure, à ma fantaisie, sans discipline. Combien de fois au moment d’atteindre la clôture de bois peinte en gris clair du presbytère, je fus tentée de faire faire demi-tour à mon cayuse et de rentrer à la maison à bride abattue ! Tout d’abord, je suivis les leçons sans comprendre, puis brusquement un voile sembla se déchirer devant mes yeux et ce fut une échappée prodigieuse sur le monde universel. Deux années durant j’en demeurai étourdie, éblouie… Songez, Monsieur, à mon enfance ! Comparez-la à celle des autres enfants qui ont, dès leur bas âge, une perception du monde extérieur, avec ses miraculeux progrès d’aujourd’hui, puis sont conduits insensiblement à l’étude des mondes intérieurs. Vous êtes né au château de Noulaine, votre nourrice vous a bercé de légendes, vos yeux se sont familiarisés avec de vieilles pierres qui sont de l’Histoire. D’avoir joué à cache-cache à travers les salles basses a émoussé la joie des découvertes. L’Histoire ne fut pas pour vous une initiation : en votre