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COMME JADIS…

en plus proche. Le vent du Sud et de l’Est apportait, de moins en moins assourdis par la distance, les sons lents et graves des cloches de troupeaux.

Nous n’étions plus des Hors-du-monde. Les arpenteurs achevèrent de tracer les lignes de sections divisant le pays environnant en un damier gigantesque. Les coupures vertes des troncs d’arbres se cicatrisèrent. Seules, les longues trouées minces des lignes, les routes futures, demeurèrent droites, nettes, comme un ordre impérieux.

Bientôt se fit sentir l’urgence de créer une nouvelle paroisse. Cette fois encore le Père Chassaing mena l’œuvre à bien et nous eûmes la joie de le conserver comme curé résidant. Deux maisons se bâtirent ; un magasin général offrit les ressources multiples de ses marchandises hétéroclites. Nous eûmes un bureau de poste auquel on donna le nom de mon père en reconnaissance des grands services rendus. En vérité, Lavernes était un embryon de village plein de promesses. Nous en étions à trois milles seulement. Ce voisinage amena un autre grand changement dans ma vie.

J’avais treize ans. Vous imaginez ce que devait être mon instruction. Le temps de mon père ne m’appartenait plus comme à l’époque où nous vivions tous trois exempts de toute obligation. La colonie, trop pauvre, ne pouvait encore assumer les frais de construction d’une école, le traitement d’une institutrice. Les petits bras eux-mêmes