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COMME JADIS…

alors que notre sleigh s’arrêta devant une maison de logs, à peine plus grande que la nôtre, surmontée d’une croix de bois qui se découpait, étincelante de blancheur, sous la lumière mouvante d’une aurore boréale ! En entrant, je fus éblouie par la lumière des cierges, étourdie par le mouvement des têtes des assistants. Je serrai la main de mon père et j’eusse éclaté en sanglots si mon émotion ne se fût tout à coup exhalée en des Ave Maria que je récitai de toute ma ferveur.

… Après Noël, ce fut l’hiver bien réellement. Il y eut comme d’habitude les journées de froid terrible pendant lesquelles, seul, mon père sortait pour « faire le train », c’est-à-dire, abreuver les cayuses, la vache, leur donner du foin arraché à grand peine à la meule couverte de neige, soigner les poules. Le temps, cependant, me paraissait moins long. L’heure de rentrer le bois n’était plus attendue comme la seule qui apportait une distraction. J’avais la présence de mon père. Si je le questionnais, il me répondait, s’attachant à se faire comprendre de la petite primitive que j’étais. Je n’avais plus de goût aux légendes de Nanine, car il me racontait, lui, des histoires de gens qui étaient morts depuis longtemps, et dont plusieurs avaient porté notre nom. Lorsque j’avais été très sage, nous regardions des images dans un grand livre qui sentait le moisi. Je restais souvent absorbée, comprenant mal qu’elles représentaient des gens,