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COMME JADIS…

ses au soin de cette autre jeune force d’une nature vierge… Jusqu’à dix ans, j’ai vécu ainsi, me croyant à peine différente des plantes, des arbres que j’aimais comme des frères bavards ou silencieux, toujours disposés à partager mes jeux…

La colonisation paraissait ne devoir jamais nous atteindre. La contrée n’était pas encore arpentée. Des deux amis de mon père établis d’abord à quatre milles de chez nous, l’un était descendu à Edmonton, où il avait ouvert un bureau d’avocat, l’autre, plus au sud, faisait du commerce dans une de ces petites villes-champignons dont se peuplait alors l’Alberta. Cependant, sans que nous nous en apercevions, le pays devait se coloniser au sud et à l’ouest du lac, car la nouvelle nous vint, un automne, que la Mission, jugeant le settlement de la Rivière-aux-Trembles assez important, donnerait un prêtre résidant aux colons français et canadiens-français. La chapelle et la sacristie — cette dernière devant servir de presbytère, — s’élèverait avant le printemps ; déjà le bois de construction était en grande partie rendu sur place.

Cet hiver-là, mon père monta très tard vers le nord, après qu’il eut abattu et charrié les huit plus belles épinettes choisies parmi les plus droites, dignes de faire le solage de la future église. Il lui fallut aussi attendre la visite du Père qui parcourait le territoire de son immense paroisse, stimulant les bonnes volontés ou plutôt les groupant, car le Canadien est bâtisseur d’église par tradition.