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COMME JADIS…

Ma mère étant morte, je fus confiée aux soins de Nanine une métisse crie, recommandée à mon père par la Mission. Ses premiers enseignements furent la récitation du chapelet et le chant, si je peux dire, d’une interminable chanson du trail que les trappeurs canadiens-français ont apportée aux Pays d’en haut « Le premier jour du mois de mai… »

Mon père avait abandonné toute idée de défrichement depuis la mort de maman et faisait de « la traite » avec les indiens du Nord.

À peine les premières neiges permettaient-elles aux sleighs de circuler, qu’il partait pour Edmonton acheter les marchandises qu’il échangerait contre de précieuses fourrures. De la grande ville, il rapportait pour Nanine et pour moi quelques pièces d’étoffes et toutes les provisions qui nous étaient nécessaires pour l’année. Dans une des caisses d’où émanait une odeur de pommes et d’allumettes, il y avait toujours un jouet, des bonbons et quelques écheveaux de ces perles dont se servent les métisses pour broder les vestes et les mocassins en peau d’orignal. Ces voyages, précédant de si peu le départ pour le Nord, étaient l’événement heureux de l’année, à cause des gâteries si rares. Toujours triste, ne recevant que de rapides témoignages d’affection, je ne souffrais pas de l’absence de mon père.

Nanine et moi nous demeurions seules durant ces longs mois d’hiver dans notre petit chantier de bois