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COMME JADIS…

MARTHE LERAY À MINNIE


Mademoiselle,

Il y a quinze jours on apportait à l’ambulance le corps brisé d’Henri Maignan. Je dis le corps, et cependant Henri vivait. La pensée merveilleuse, la charité sublime, tout ce qui fut la vie d’Henri s’était réfugié dans son admirable regard : il vivait. Pendant dix jours, nous avons demandé à Dieu le miracle de souder ces os brisés. Pourquoi ne pas vous le confier ? Marthe Leray, la socialiste, au chevet de l’ami incomparable, avait offert sa vie en échange de celle, d’un prix inestimable, d’Henri. Dieu nous a pris notre héros… Mon unique consolation est de lui avoir donné la grande joie de savoir quelle rude leçon de guerre infligeait à mes idées…

Il y a des heures où l’on se sent vivre à une telle hauteur que l’on dédaigne d’y mêler le souffle d’un sentiment trop humain. Nous avons gardé secret, dans notre cœur, l’aveu mutuel de notre amour. Henri est mort dans mes bras sans que mes lèvres me trahissent…

Mademoiselle, pardonnez-moi de vous parler de façon si intime. Si éloignée du théâtre de la guerre que vous soyez, est-il besoin que l’on étale ses propres souffrances pour affirmer mieux l’étroite solidarité qui nous unit toutes ? Néanmoins, il me