Je sais, maintenant, que vous êtes malheureux et, le sachant, il m’est moins facile de vous détester. Pourquoi m’avoir dit ces choses ? Vous me connaissez si peu… je suis si lointaine… Votre livre a du succès ; que peut vous faire l’appréciation d’une sauvagesse telle que moi ?
Ma seconde lettre, qui vous donnait satisfaction, aurait dû clore notre correspondance. Ne faut-il pas, à présent, que je rende confidence pour confidence ? et je ne saurai, comme vous, dire beaucoup de choses sans beaucoup de mots ou beaucoup de mots sans beaucoup de choses !
Ah ! certes, il n’y a pas le plus petit roman dans
ma vie, il n’y a rien de saillant qu’une grande, une
immense douleur : la perte de mon père… Vous ne
me connaissez même pas sous mon véritable titre,
Je ne suis pas « Madame », mais « Mademoiselle »
Ici, on dit tout uniment « Minnie Lavernes »…
Comment n’ai-je pas oublié le vieux nom ?…
Saviez-vous que la lignée des Lavernes s’est perpétuée
en Canada ? Après la mort de Montcalm et de
son frère d’armes et cousin Gérard, mon aïeul
Henri de Lavernes rallia l’armée du Chevalier de
Lévis et connut, aux côtés de ce gentilhomme, toutes
les tristesses d’une lutte inégale dont la France
mal instruite se désintéressait. Après la capitulation
de Montréal, et alors que la plupart des officiers
français regagnaient leur patrie, Henri, persistant
à croire que la France n’abandonnerait pas