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COMME JADIS…

français ont laissés derrière eux. Des fonds de secours se lèvent rapidement en faveur des réfugiés. La France apparaît comme la patrie de chacun…

Ce coin de Jasper et de la Première rue, il est le centre, c’est là que l’on sent battre le cœur de la ville. À toutes les heures de la journée, on se réunit devant le tableau noir plaqué contre le mur du Dominion Cigar.

— Rien de nouveau, disent ceux qui sont déjà venus deux fois, trois fois, dix fois, dans le cours de la matinée ou de l’après-midi.

Rien de nouveau. « Ils » avancent. On s’impatiente de la lenteur des britanniques. Paris est menacé. Qui va les arrêter ?…

Une jeune femme est auprès de moi. Nous nous regardons et, parce que nous avons le cœur lourd toutes les deux, nous nous parlons sans nous connaître :

— Vous avez quelqu’un, là-bas, Madame ?

— Toute ma famille habite le département du Nord. Je suis sans nouvelles. Je n’en attends pas avant que mon mari arrive : il s’embarque aujourd’hui à Montréal.

— Alors vous êtes seule ici ?

— Oh ! non, j’ai mes deux petites.

Elle pleure comme celle que j’ai déjà vue pleurer, les yeux grands ouverts. Ma main plus prompte que ma pensée a saisi la sienne.