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COMME JADIS…

blesse, de courage, de fidélité que je devais découvrir à chaque feuillet. Le Roman d’antan contient les plus purs de ces joyaux.

Des heures passèrent, le jour retirait sa lumière de la salle, l’emportait par la haute et étroite fenêtre. Incapable d’interrompre la lecture de cette épopée d’amour et de gloire, je me rapprochai du cadre encore lumineux. Le style simple, panaché, çà et là, de mots désuets aujourd’hui, m’entraînait à la suite de Gérard sur les champs de bataille de la Nouvelle-France, dans les escarmouches qui énervent, parmi les hordes sauvages toujours prêtes à trahir. Et le souci touchant d’épargner à la fiancée les inquiétudes transparaissait à chaque lettre, même dans la dernière, datée de Beauport, où l’on devine pourtant Gérard troublé par le pressentiment de sa fin prochaine. Cette lettre si belle, vous l’avez lue dans le livre.

Mon cœur ulcéré se désaltérait à longs traits à la source cristalline, il se purifiait des doutes au contact de cette sincérité…

Comme je vous dis cela, Madame, avec des mots déjà dits, répétés, usés, vieillis par la littérature !… Comment vous décrire les sentiments qui se succédèrent en moi, rapides, fugaces ainsi que les lueurs du couchant dont la caresse alternativement poudrait d’or, de pourpre ou d’ombre les feuillets qui tremblaient entre mes doigts. Entre ma détresse morale et la crudité du monde extérieur s’insinuait