Mourier laboure les terres neuves avec la charrue à un soc qu’il faut maintenir solidement, adroitement, pour avoir raison des souches sournoises. Ce labour-là est un travail pénible, qui endolorit les bras tendus, tandis que les pieds, enfonçant dans le sol mou, se lèvent lourds et doivent cependant, d’un coup preste, rejeter à temps la tranche de terre compacte. Quand tout va bien, Mourier sifflote de vieux airs français, qui sont aussi de vieux airs canadiens ; si la terre, en mauvaise condition, trop humide ou trop sèche, ne « revire » pas, il manie à grand bruit « les clefs-à-vis » pour rectifier, unifier la force des chevaux ; il parle anglais à ses bêtes, il détache les cordeaux du mancheron de droite pour se les passer, à la canadienne, autour de la taille ; finalement il peste contre le pays.
Mon travail à moi, combien il est plus facile ! La charrue à double soc, légère d’aspect, semble un véhicule moitié terrestre, moitié marin ; quatre chevaux à la croupe reluisante entraînent sans effort cette sorte d’esquif sur la mer blonde du chaume de la précédente moisson, mer calme, aux courtes vagues noires, du labour frais. Pour achever l’illusion, je suis bercée par le roulis qui, en fin de journée, détermine, sinon le mal de mer, du moins des courbatures. Je navigue ainsi sur la longueur d’un demi-mille ; quelques voyages aller et retour ont sitôt fait de rétrécir la mer blonde. C’est un travail payant ! Les émotions de cette