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COMME JADIS…

Je répondis « Non » sans savoir si c’était vérité ou mensonge.

— Alors, partons.

Nous étions seuls. Je suivis Maignan par les mêmes rues parcourues avant le dîner. Minuit n’était pas encore sonné. Les devantures basses de quelques buvettes de dernier ordre répandaient une clarté douteuse sur le trottoir. Une porte ouverte, puis refermée sur un homme titubant faisait refluer une odeur chaude d’humanité miséreuse, saturée d’alcool, dans l’air humide qui montait des bras de la Loire. Les passants étaient rares, des silhouettes inquiétantes rasaient les murs. Une femme marchait devant nous, son pas élastique la portait droite, sans une hésitation pour franchir la bouche béante des corridors sinistres. Maignan accéléra son allure et bientôt nous fûmes à sa hauteur.

— Je ne m’étais pas trompé. Quelle imprudence de rentrer seule à cette heure, dans ce quartier !

— C’est vrai, vous m’avez fait peur, Maignan !

— Je ne plaisante pas, Marthe. Les Ponts ne sont rien moins que sûrs, à minuit, et vous, aussi bien qu’une autre vous vous exposez aux pires aventures en les traversant seule.

Une irritation sourde perçait dans la voix de mon ami.

— Voyons, ne grondez pas et présentez-moi notre talentueux conférencier.