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COMME JADIS…

cette chose possible : Jacqueline Maurane au milieu de l’assistance anonyme… Une voilette épaisse ne me permet pas de distinguer ses traits, je la retrouve pourtant à n’en pouvoir douter une seconde, à ses gestes familiers, à ce doigt mince qui remonte une mèche de la nuque, à la tête dont je devine la finesse à travers le voile qui s’incline à droite pour se redresser aussitôt d’un mouvement de jeune bête indomptée. Je la retrouve dans mon souvenir, si vivante et si semblable, que je crains une lâcheté… Que vais-je faire ?… Aller la saluer ?… Quelques minutes retrouver l’illusion ?… Pourquoi suis-je venu ?… Minnie, pourquoi m’avez-vous amené ici ?…

— Viens, répète mon ami en cherchant à m’entraîner. Je résiste. J’ai le désir violent, éperdu de ses yeux. Tant qu’elle sera l’énigme, le sphinx, ainsi voilée, je ne serai pas sûr de moi. Il faut que je découvre l’abîme des prunelles ardentes où s’est ensevelie ma jeune foi, tout mon espoir juvénile…

Cependant, l’heure annoncée de la conférence passe. Les montres de nickel et d’argent commencent à sortir des goussets. Une onde d’impatience glisse sur la houle des têtes. Un pied timide bat une mesure, d’autres plus hardis se joignent à ce concert de semelles qui ne tardera pas à devenir bruyant. Par intuition, Henri a deviné le drame intime qui se joue en mon cœur.

— Gérard, tu vas te retirer dans le petit bu-