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COMME JADIS…

Nous descendîmes l’escalier raide, obscur. Maignan glissa son bras sous le mien.

— Tu vois, je vis au milieu d’eux. Je suis devenu l’un des leurs ; je sais ce dont ils souffrent Que puis-je pour eux ? Hélas peu !… Mais ils savent que je les aime et je le leur dis en leur langage. Il sourit en continuant : « C’est un langage fruste et maladroit, quand il s’adresse à des sensibilités plus raffinées… »

Je serrai sa main.

— Tu m’as fait du bien.

— Dis-tu vrai ?

Le long couloir étroit, aux parois crayeuses se débouchait sur le trottoir traversé par des enfants, par des femmes en cheveux.

— Tu m’excuses de ne pas t’emmener dîner à la maison ? J’ai besoin, ce soir, de garder intacte ma foi dans mon œuvre. Si tu savais le plaisir de ma famille à saper l’enthousiasme, à détruire les convictions, à tout rabaisser !

— Les tiens n’approuvent pas ton genre de vie ?

— Comment le pourraient-ils ? Ils ont le mépris le plus profond pour le pauvre, pour l’ouvrier, bon tout juste à être l’artisan de fortunes colossales.

La rue maintenant s’emplissait d’hommes. Ils marchaient par groupes ou isolément. Nous voyions les visages de face, parce qu’ils remontaient la vieille Ligne des Ponts qui ramène les travailleurs des chantiers et des usines jusqu’à Pirmil, Saint-