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COMME JADIS…

avons toutes l’habitude du « stopping place », où l’on dort souvent sur le plancher. Les peaux d’ours noirs faisaient à ma chambre un tapis épais et chaud et nous avons eu tôt fait d’établir un campement confortable.

J’étais trop énervée pour m’endormir et tout à coup il m’a semblé entendre une plainte. D’instinct, je suis allée à une petite forme enroulée d’une « couverte » rouge et allongée sur une peau d’ours. Au geste de la main qui remontait un pan de « la couverte », j’ai compris que j’avais deviné juste. Je me suis agenouillée et délicatement j’ai dégagé la tête blonde.

— Noëlla n’ayez pas peur, c’est moi, Minnie.

Deux larmes sont tombées chaudes sur ma main.

— Vous pleurez ! Vous souffrez ! Puis-je quelque chose pour vous ?

Je ne pourrai jamais oublier l’élan, l’étreinte de ces deux bras tièdes jetés en collier à mon cou, l’incohérence passionnée de la confidence. Je ne trouvais rien dans ma mémoire qui ressemblât au pathétique de cette enfant de dix-huit ans me révélant la détresse de son rêve d’amour tué par la coquetterie d’une autre. À chacune des phrases de consolation que je lui murmurais, elle répondait :

— Oh ! vous, Minnie, vous ne pouvez pas savoir ; vous n’aimez pas !…

Si cette scène se fût déroulée dans l’atmosphère normale d’une journée quelconque, au lieu d’em-