Page:Michelet - Comme jadis, 1925.djvu/120

Cette page a été validée par deux contributeurs.
120
COMME JADIS…

jeune rameau peut-il se désintéresser du tronc séculaire ? Chacune de vos lignes est entrée en moi comme un reproche. Pourquoi n’ai-je pas répondu à votre longue lettre où vous me disiez « vous » depuis l’enfance solitaire qui ressemble à mon enfance jusqu’à l’accablement de l’épreuve ? Gérard, je ne sais… Tout cela m’a été triste infiniment, oui, et durant des jours, j’ai voulu fuir le fantôme tout à coup évoqué par votre confidence. J’ai voulu fuir ma propre pitié parce qu’elle me devenait accablante, pareille à un fardeau dont vous m’eussiez chargée. Je ne saurais vous dire… Tout cela est si nouveau pour moi. C’est bien réellement comme si vous m’eussiez projetée dans un monde inconnu. Le choc m’a fait mal. Vous voyez, je veux m’expliquer, ma franchise vous paraîtra-t-elle brutale ?

Cependant, ne croyez pas que je vous oubliais durant ces jours de silence. Voici éparpillés sur ma table à écrire des feuillets qui furent des commencements de lettres. Je vous les envoie. Vous verrez que je n’achevai pas ces lettres parce que jamais je ne parvins à secouer l’étrange torpeur d’esprit qui me saisissait dès que je voulais répondre plus directement à votre confidence. Je biaisais… Je m’égarais dans les « têtes de chats ». Je n’arrivais pas à me « ressourdre » sur le chemin du roi, dirait Mourier qui emploie nos expressions du terroir mieux que moi.