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COMME JADIS…

gnées par les pattes des poules de prairie. En se gorgeant de pembinas, des perdrix faisaient tomber sur la neige les petites baies rouges comme des gouttes de sang. Je les fis remarquer à M. Valiquette, ce qui l’amena à regretter de n’avoir pas de fusil.

— Vous ne tueriez pas ici, dis-je, parce que c’est chez moi.

— Défendez-vous la chasse sur votre terre ?

— Oui, quand elle est inutile. Ni vous, ni moi, n’avons besoin aujourd’hui de la chair de ces jolies bestioles. Pourquoi priver le bois d’une vie, de deux ailes, d’un peu de beauté ?

— Vous êtes poète, Mademoiselle Lavernes ! Bon sang ne peut mentir…

Je ne voulus pas relever l’ironie. Du bout des longues guides, je fouettai la croupe pointue des cayuses et quelques bonds nous portèrent au sommet de la côte. On apercevait déjà le village de Lavernes, tapi dans l’étroit vallon. Mon compagnon crut devoir plaisanter les fameuses petites villes champignons de l’Ouest. Il me raconta son premier voyage à Lavernes, en pleine nuit, sa recherche de la ville, ses chutes multiples dans les bancs de neige, alors que son pied, à tâtons, cherchait la surface solide d’un trottoir. Il n’avait pas été éloigné de croire que le postillon l’avait joué en l’abandonnant en un lieu inhabité, en pleine prairie.