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COMME JADIS…

Oui, nous avons veillé très tard. Notre notaire, tout à fait remis de ses émotions, parlait sans fatigue. J’écoutais, Henriette tricotait, Mourier appuyait d’une expression canadienne toujours juste les arguments de M. Valiquette. Nous étions serrés tous quatre autour du poêle. Au dehors la tempête s’était apaisée, le froid ne devait pas en être moins vif : de temps à autre un clou de la toiture se cassait avec une détonation sèche…

Le lendemain, je reconduisis moi-même M. Valiquette au village. Le ciel était d’un bleu vif, notre vrai ciel albertain. Seules, les longues vagues blanches immobiles semblables à une mer que le gel aurait instantanément figée, rappelaient la folie de la nuit. Le « team » de jeunes cayuses, demi domptés, portait d’un élan notre traîneau à la cime de ces vagues, non sans parfois menacer de nous verser sur la neige lorsque les deux glissières ne gardaient pas leur aplomb. Pour traverser le bois, nous avons trouvé un meilleur « trail ».

La poudrerie ne peut rien contre la forêt, aussi est-elle le refuge des bêtes qui peuvent la gagner à temps. Nous avons rencontré tous ses petits hôtes, ou trouvé leurs traces. Des lapins, aussi blancs que la neige, croyaient chauffer au soleil leurs longues oreilles roses par transparence ; les pattes des petits rongeurs, écureuils, petits suisses, avaient dessiné de mystérieux signes sur le tapis, immaculé qui s’écussonnait royalement des fleurs de lis impré-