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COMME JADIS…

histoires sur mon enfance, sur le pays désert, ouvert à toutes les possibilités, sur l’activité de mon père, les résultats de son œuvre. Il n’en avait pas fallu davantage pour que Jos. Valiquette se décidât à venir planter sa tente à Lavernes.

Cependant, Henriette par des signes discrets, m’indiquait que le souper était prêt. D’un coup d’œil sur la nappe, je vis qu’elle avait ouvert une boîte de saumon — grande ressource du homestead ! — en l’honneur de notre notaire, et vidé dans un bol en « verre taillé » la blonde liqueur du sirop d’érable. Avec le pot-au-feu, nous avions un dîner convenable à offrir.


Je crois que nous avons prolongé la veillée très tard. Je suis fille de l’Ouest. Là-bas, en province de Québec, durant le temps de mes études, j’ai souvent senti qu’on professait un peu de mépris pour la fille des prairies. Aux yeux de nos frères de la vieille Province, nous avons perdu l’intégrité de notre nationalité canadienne française ; nous sommes partis, nous avons affaibli la cause par notre désertion… La cruauté de ce paradoxe est peut-être le plus puissant stimulant des groupements canadiens de l’Ouest. Comment peut-on douter des liens qui nous rattachent au Québec ? J’ai éprouvé leur puissance ce soir-là en ne me lassant pas d’écouter parler de la vieille Province, des luttes que nos frères soutiennent pour défendre le patrimoine national…