qui pouvaient périr en pleine tourmente d’un martyre ignoré, et dont les loups viendraient, dans la nuit sans espoir, flairer les lamentables dépouilles. Je songeais aux poules de prairie qui se blottissent, transies, sans détente de leur petit corps, aux creux des saules où restent accumulées les feuilles pointues et sèches ; je songeais aux petits oiseaux blancs, ceux qui prennent la livrée de notre hiver pour ne pas déserter, et se blottissent en grappes désespérément cramponnées à la branche grinçante. Je songeais à toute la misère qui tord l’âme des êtres et des arbres torturés par les éléments, et, tout à coup, entre deux rafales, un grand cri humain est monté, terrible, désespéré, résumant la force d’un homme en lutte contre la mort. Un même bond nous arrache de nos chaises.
— Un freigteur écarté. Je vais « jeter un cri », dit Mourier en se précipitant vers la porte.
Un tourbillon de neige l’enveloppa, renfonçant l’appel dans sa gorge, pénétra jusqu’au milieu de la pièce, éteignit la lampe. Le verre surchauffé se fendit avec un bruit sec. Une quinte de toux secouait Mourier.
— Allumez le falot d’écurie, dis-je à Henriette, nous ferons des signaux, si ma voix ne peut porter.
Emplissant ma poitrine d’air, je mis mes mains en porte-voix et lança un « All…o… » prolongé, que le vent disloqua, fouetta, emporta parmi les aiguilles qu’il agitait en bourrasque.