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tion, et que par là ils aient été apprivoisés à la monarchie. Mais ne doit-on pas supposer que, dans la fierté originaire d’une liberté farouche, les pères de famille auraient plutôt péri tous avec les leurs que de supporter l’inégalité ? Quant à la ruse, elle est employée par les démagogues, lorsqu’ils promettent à la multitude la liberté, la puissance ou la richesse. Aurait-on promis la liberté aux premiers pères de famille ? ils étaient tous non seulement libres, mais souverains dans leur domestique… La puissance ? à des solitaires qui, tels que le Polyphéme d’Homère, se tenaient dans leurs cavernes avec leur famille, sans se mêler des affaires d’autrui ? La richesse ? on ne savait ce que c’était que richesses, dans un tel état de simplicité. — La difficulté devient plus grande encore lorsqu’on songe, que dans la haute antiquité il n’y avait point de forteresse, et que les cités héroïques formées par la réunion des familles n’eurent point de murs pendant longtemps, comme nous le certifie Thucydide[1]. Mais elle est vraiment insurmontable, si l’on considère avec Bodin les familles comme composées seulement des fils. Dans cette hypothèse, qu’on explique l’établissement de la monarchie par la force ou par la ruse, les

  1. La jalousie aristocratique empêchait qu’on en élevât. On sait que Valérius Publicola ne se justifia du reproche d’avoir construit une maison dans un lieu élevé qu’en la rasant en une nuit. — Les nations les plus belliqueuses et les plus farouches sont celles qui conservèrent le plus longtemps l’usage de ne point fortifier les villes. En Allemagne, ce fut, dit-on, Henri l’Oiseleur qui le premier réunit dans des cités le peuple, dispersé jusque-là dans les villages, et qui entoura les villes de murs. — Qu’on dise après cela que les premiers fondateurs des villes furent ceux qui marquèrent par un sillon le contour des murs ; qu’on juge si les étymologistes ont raison de faire venir le mot porte, a portando aratro, de la charrue qu’on portait pour interrompre le sillon à l’endroit où devaient être les portes. (Vico.)