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Par un effet des mêmes causes qui firent l’héroïsme des premiers peuples, les anciens Romains qui ont été les héros du monde, se sont montrés naturellement fidèles à l’équité civile. Cette équité s’attachait religieusement aux paroles de la loi, les suivait avec une sorte de superstition, et les appliquait aux faits d’une manière inflexible, quelque dure, quelque cruelle même que pût se trouver la loi. Ainsi agit encore de nos jours la raison d’État. L’équité civile soumettait naturellement toute chose à cette loi, reine de toutes les autres, que Cicéron exprime avec une gravité digne de la matière : La loi suprême c’est le salut du peuple : Suprema lex populi salus esto. Dans les temps héroïques où les gouvernements étaient aristocratiques, les héros avaient dans l’intérêt public une grande part d’intérêt privé ; je parle de leur monarchie domestique que leur conservait la société civile. La grandeur de cet intérêt particulier leur en faisait sacrifier sans peine d’autres moins importants. C’est ce qui explique le courage qu’ils déployaient en défendant l’État, et la prudence avec laquelle ils réglaient les affaires publiques. Sagesse profonde de la Providence ! Sans l’attrait d’un tel intérêt privé identifié avec l’intérêt public, comment ces pères de famille à peine sortis de la vie sauvage, et que Platon reconnaît dans le Polyphème d’Homère, auraient-ils pu être déterminés à suivre l’ordre civil ?

Il en est tout au contraire dans les temps humains, où les États sont démocratiques ou monarchiques. Dans les démocraties, les citoyens régnent sur la chose publique qui, se divisant à l’infini, se répartit entre tous les citoyens qui composent le peuple souverain. Dans les monarchies, les sujets sont obligés de s’occuper